Hommage à l’écrivain et diplomate Yves Mabin Chennevière
Mis à jour le 17/07/2020
Yves Mabin Chennevière laisse, au-delà de ses 10 romans et 15 recueils de poésie, un héritage singulier, celui d’avoir été le père fondateur de la politique française de circulation du livre et des idées dans le monde menée par le Quai d’Orsay. Passeur infatigable des œuvres françaises, il est mort le 18 juin, à Paris, à l’âge de 77 ans.
Né le 12 juillet 1942 à Corps-Nuds (Ille-et-Vilaine), issu d’une famille bretonne, catholique, il baigne dès son plus jeune âge dans la littérature et l’esprit de résistance de par son grand-père, Edouard Chennevière, homme de lettres fusillé en 1944. Sa curiosité l’aiguille vers des langues orientales, le turc et le persan, qu’il étudie à l’Ecole nationale des langues orientales vivantes (Langues O) et Istanbul. Sa fascination pour ces civilisations sera une source d’inspiration pour ses romans et poèmes.
Elle l’amène tout droit vers le ministère des affaires étrangères, au Service des échanges culturels, où il commence en 1968 sa « double vie ». « Je consacrais le jour à la diplomatie et au service public, confiait-il en 2016 à Laure Adler sur France Culture, la nuit, j’écrivais, égoïstement. » C’est ainsi qu’il propose le manuscrit de son premier roman à l’écrivain Jean Cayrol, alors éditeur au Seuil. L’Usurpé (Seuil) paraît en 1969, préfacé par François Nourissier.
« Il a fait de sa maladie un matériau littéraire »
Au fil des parutions de ses romans et poèmes, il se lie d’amitié avec Claude Simon, Julien Gracq, Gilles Deleuze – avec lequel il entretient une correspondance de près d’une centaine de lettres – un cercle qui ne cesse de s’enrichir, puisque y figureront également Hélène Cixous, Florence Delay, Vénus Khoury-Ghata, Jean Echenoz…
Son recueil de poèmes Méditation métèque (La Différence) lui vaut le prix Max-Jacob en 1995, le prix Alain-Bosquet distingue Errance à l’os (Obsidiane, 2014). Loin d’interrompre sa carrière littéraire, un accident vasculaire cérébral qui le laisse infirme en 2007 lui inspire Portrait de l’écrivain en déchet (Seuil, 2013) et Un vieux dans le soleil couchant (Gallimard, 2016), témoignages poignants de l’écrivain « prisonnier de son corps ». « Il a fait de sa maladie un matériau littéraire, note Vénus Khoury-Ghata, en portant un regard lucide et implacable sur son corps. »
L’autre volet, diurne, de son œuvre lui assigne une place dans l’histoire de la diplomatie culturelle de la France : des quatre décennies qu’il lui a consacrées, les deux premières furent consacrées à la promotion dans le monde des artistes et peintres contemporains, avec pour objectif de faire connaître la création française dans un marché de l’art d’après-guerre devenu férocement compétitif. Ce long chapitre l’amène à Londres, où il est attaché culturel – auprès de Jean-Pierre Angrémy – à l’ambassade de France, puis, à son retour à Paris, à l’Association française d’action artistique, bras armé du Quai d’Orsay, aux côtés de Catherine Clément.
Lorsque Angrémy se voit confier, en 1987, la direction des relations culturelles du Quai d’Orsay, il charge Yves Mabin Chennevière de donner un nouvel élan à la diffusion du livre à l’étranger. Et c’est une véritable révolution de la méthode que ce passionné de littérature va imprimer à un secteur passablement délaissé, dont l’ambition se limite alors à l’expédition vers les centres culturels français de livres promis au pilon.
« Le sens de l’intérêt public »
Il met en place, patiemment, une batterie d’instruments : une sélection éditorialisée des ouvrages les plus pertinents dans chaque domaine, pour les diffuser dans le monde, des bourses Stendhal de séjour à l’étranger de jeunes auteurs, des programmes d’aide à la publication et à la traduction à l’étranger, un Fonds d’Alembert, consacré à la circulation des idées et des savoirs… Aujourd’hui mis en œuvre par l’Institut français, ce dispositif a contribué à faire du français la deuxième langue la plus traduite dans le monde après l’anglais, avec quelque 14 000 cessions de droits étrangers en 2018, en augmentation continue depuis une quinzaine d’années.
L’écrivain Jean-Paul Kauffmann, son ami d’enfance à Corps-Nuds, saluait en 2007 « la noblesse, le désintéressement, le sens de l’intérêt public, la discrétion » qu’il incarnait, « non sans stoïcisme et mélancolie ». Son aversion pour la complaisance et la facilité, la rigueur qu’il s’appliquait d’abord à lui-même, sa modestie, son exigence de sincérité et de vérité sont les traits que lui reconnaissent ceux qui l’ont connu ou côtoyé – et qu’il a marqués. Ils traversent son œuvre littéraire et poétique autant que son action au service de l’Etat.
Yves Mabin Chennevière a non seulement perpétué, avec son génie propre, la riche tradition du diplomate-écrivain. Il y a ajouté le mérite d’avoir été un passeur inlassable d’œuvres et de pensée entre la France et le monde.
Pierre Buhler, président de l'Institut français
Yves Mabin Chennevière en quelques dates
1968 : Entre au ministère des affaires étrangères
1969 : « L’Usurpé »
1998 : « La Tristesse du Touraco »
2016 : « Un vieux dans le soleil couchant »
18 juin 2020 : Mort à Paris